Société de Rhétorique Genevoise

Résumé succinct de "Rhétorique à Herennius"

Introduction

À force de participation en débat, de concours, de joutes oratoires, le besoin d’asseoir la pratique sur une solide fondation théorique m’est parvenu. « Rhétorique à Herennius » est un court traité sur la rhétorique d’un auteur dont la postérité n’a pas retenu le nom, l’un des plus vieux qui soit et qui m’a particulièrement éclairé sur la force d’une bonne construction ainsi que sur l’importance de la compréhension des parties classiques de la rhétorique. 

Toutes les parties qui suivent ce court paragraphe d’introduction ne sont pas de ma personne, il ne s’agit que de phrases et considérations résumées qui, je le pense, sauront vous aiguiller plus simplement. Les quelques notes de bas de page viendront arrondir certains angles trop rigides.

L’invention se résout en six parties oratoires : exorde, narration, division, confirmation, réfutation, conclusion. L’exorde (II) ou le commencement du discours dispose l’esprit de l’auditeur à l’attention ; la narration (III) est l’exposé des choses faites, ou données comme faites ; la division (IV) met au jour ce qui est convenu, ce qui est contesté : par elle nous exposons les objets dont nous avons à parler. La confirmation (V) établit à notre public nos arguments dans toute leur force ; la réfutation (V) détruit les moyens qu’on nous oppose ; la péroraison (VI) est la fin du discours ménagée avec art.

À partir de ce paragraphe, tout provient de « Rhétorique à Herennius », mon seul apport se limite à quelques reformulations.

L'EXORDE

Les Causes du Discours

Il faut, pour que l’exorde soit plus approprié au sujet, examiner quel est le genre de la cause. Il y a quatre genres de causes : l’honnête, le honteux, le douteux et le bas.

La cause appartient au genre honnête, quand nous défendons ce qui semble devoir être défendu par tout le monde, ou que nous attaquons ce que chacun semble devoir attaquer ; ainsi l’on parle en faveur d’un homme de bien, ou contre un parricide.

Le genre est appelé honteux, lorsqu’on attaque ce qui est honnête ou qu’on défend ce qui ne l’est pas.

Le genre est douteux quand la cause est en partie honnête, en partie honteuse.

Le genre est bas, quand on présente une chose méprisée.

Les Types d'Exorde

L'Exorde comme simple début

Il y a deux sortes d’exorde : l’un, n’est qu’un simple début (1) ; l’autre, se fait par insinuation (3).

L’exorde n’est qu’un simple début quand, dès l’abord, nous disposons l’auditeur à nous écouter. Il a pour but de le rendre attentif, docile, bienveillant.

[Note: Ces trois critères sont ceux qui donnent toute la forme de l’exorde, ils sont ceux qui doivent toujours se retrouver dans un discours et, généralement, leur absence est la cause des défaites de nombreux orateurs lors des débats]

Si le genre de la cause est douteux, nous débuterons en réclamant la bienveillance, afin que la partie honteuse qu’il contient ne nous soit point nuisible.

Si le genre est bas, nous provoquerons l’attention ; s’il est honteux, on se servira de l’insinuation, dont nous devons parler plus bas, à moins qu’on n’ait trouvé un moyen de capter la bienveillance en accusant les adversaires.

Si le genre est honnête, il sera permis d’employer ou de ne pas employer le simple début ; si nous voulons l’employer, il faudra montrer ce qui constitue l’honnêteté de la cause, ou exposer brièvement le sujet du discours ; si nous ne voulons point l’employer, il faudra débuter en citant une loi, un écrit, ou quelque circonstance qui offre un solide appui à la cause.

Les Buts de l'exorde

Pour rendre l’auditoire bienveillant, nous avons quatre moyens : parler de nous-mêmes, des adversaires, des auditeurs, et du sujet.

Nous exciterons la bienveillance en parlant de nous-mêmes, si nous faisons valoir nos services sans arrogance, si nous rappelons ce que nous avons fait pour l’état, pour nos parents, pour nos amis, ou pour ceux même qui nous écoutent, pourvu que ces détails aient rapport à l’objet dont il s’agit ; si nous retraçons nos peines, notre détresse, notre abandon, notre calamité ; enfin si, en implorant le secours des auditeurs, nous déclarons qu’en eux seuls nous avons voulu mettre nos espérances.

Nous obtiendrons la bienveillance en parlant de nos adversaires, si nous attirons sur eux la haine, l’envie, le mépris. Nous les dévouerons à la haine, si nous citons de leur part quelque trait d’infamie, d’orgueil, de perfidie, de cruauté, de présomption, de malice, de perversité. Nous les livrerons à l’envie, si nous mettons en avant leur force, leur puissance, la faction qui les soutient, leurs richesses, leur ambition effrénée, leur noblesse, le nombre de leurs clients, de leurs hôtes, de leurs amis, de leurs parents ; et si nous démontrons qu’ils placent leur confiance dans ces appuis plutôt que dans la vérité.

Nous recueillerons la bienveillance en parlant des auditeurs, si nous rappelons les jugements où ils firent preuve de courage, de sagesse, de clémence, de grandeur d’âme ; si nous étalons à leurs yeux et l’estime qui les environne, et l’attente excitée par l’arrêt qu’ils vont prononcer.

Nous rendrons l’auditoire bienveillant en parlant du sujet même, si nous relevons notre cause par des louanges adroites, et si nous rabaissons avec mépris celle de la partie adverse.

 

Nous pourrons avoir des auditeurs dociles, si nous exposons succinctement le fond de la cause, et si nous fixons leur attention : car être docile, c’est consentir à écouter attentivement.

 

Nous obtiendrons l’attention, si nous déclarons devoir parler de choses importantes, nouvelles, extraordinaires, de choses qui intéressent l’état, ou les auditeurs, ou le culte des dieux immortels ; si nous prions qu’on nous écoute attentivement, et si nous exposons avec ordre les questions que nous allons traiter.

L'exorde par insinuation

En ce qui concerne l’insinuation. Trois circonstances qui appellent un exorde insinuatif : une cause honteuse, c’est-à-dire quand le sujet même aliène de nous l’esprit de l’auditeur ; quand l’auditeur paraît avoir été persuadé par ceux qui, auparavant, ont parlé contre nous ; enfin, quand il est déjà fatigué d’avoir entendu les discours qui ont précédé le nôtre.

Si la cause est du genre honteux, il faut distinguer la personne de la chose : il faut avoir égard à la chose, et non à la personne ; ou bien, à la personne et non à la chose, puis les distinguer de notre cause ou notre personne. L’on peut également alléguer un jugement prononcé par d’autres juges sur une cause semblable, identique, moins importante ou plus sérieuse, et approcher à pas comptés de notre sujet, et l’aborder par une similitude. De même, on réussit l’insinuation en déclarant qu’on ne dira rien des adversaires ou de quelque autre chose, dont on parle cependant à la dérobée.

Si l’auditeur a été persuadé, nous nous engagerons à parler d’abord de ce que l’adversaire aura présenté comme son plus puissant secours ; ou bien nous commencerons par une de ses assertions, surtout la dernière ; ou bien encore nous paraîtrons hésiter, ne sachant quel argument donner la préférence.

Si l’attention de l’auditoire est fatiguée, nous commencerons par quelque chose qui puisse exciter le rire, ou bien un apologue, un contre vraisemblable, une imitation, une charge, une inversion de mots, une équivoque, une allusion maligne, une raillerie, une bouffonnerie, une exagération, un rapprochement, un changement de lettres ; ou en piquant la curiosité, en offrant une similitude, une chose inattendue, une anecdote, un vers ; ou bien nous profiterons d’une interpellation, d’un sourire, échappés à quelqu’un de nos auditeurs.

La Narration

Il y a [deux] sortes de narrations. [La première] traite des choses, ; [la seconde] des personnes[1].

La narration concernant les choses est triple : merveilleuse, historique ou feinte.

La narration merveilleuse présente des choses qui ne sont ni vraies, ni vraisemblables, comme il s’en trouve dans les tragiques.

La narration historique rapporte un fait véritable, mais éloigné de notre époque.

La narration feinte nous offre un fait supposé, mais possible, comme celles des comédies.

La narration consacrée aux personnes exige les grâce du style, la variété des caractères ; tout-à-tour ou légère, elle peint l’espoir, la crainte, le soupçon, le désir, la dissimulation, la pitié, les vicissitudes des choses, les changements de la fortune, un malheur imprévu, une joie inespérée, un dénouement heureux.

 

La narration doit avoir trois qualités : brièveté, clarté, vraisemblance.

Nous raconterons avec brièveté, si nous commençons par où il faut commencer, sans remonter à la première origine ;

La narration sera claire, si nous exposons d’abord ce qui s’est fait d’abord ; si, en conservant l’ordre des choses et des temps, nous montrons les objets tels qu’ils ont été ou pu être ; et si nous observons la brièveté : plus un récit est court, plus il est lucide et facile à saisir.

La narration est vraisemblable, si nous conformons nos paroles à l’usage, l’opinion, la nature ; si nous avons égard au laps de temps, à la dignité des personnes, aux motifs des résolutions, à la convenance des lieux.

[Note :J’ai fait le choix de ne conserver que le troisième des types de narration proposés dans « Rhétorique à Herennius » puisqu’il s’agit, à mon sens, de la catégorie la plus instructive et la plus fournie. Selon moi, cette catégorie regroupe également les deux autres et l’auteur aurait dû s’y en demeurer à l’écrire. Pour simple information, les deux autres types de narration de l’auteur étaient les suivants : la narration exposant le fait, en tourne les circonstances au profit de notre cause ; la narration offre une preuve, une accusation, une transition, une préparation, un éloge. Je considère la première comme un pléonasme, la seconde comme une tautologie.]

La Division

La division a deux parties : montrer ce que nous admettons avec l’adversaire ; et si les points convenus entre nous sont à notre avantage, passer ensuite à ce qui est controverse.

Après avoir divisé, nous emploierons la distribution, qui comprend l’énumération et l’exposition.

L’énumération indique le nombre d’objets dont on va parler, il ne faut pas qu’elle ait plus de trois parties car il y a du danger à dire trop ou trop peu, on pourrait aussi par-là se faire soupçonner de préméditation ou d’artifice.

L’exposition a pour but de présenter en peu de mots, mais complètement, le sujet du discours.

La Confirmation et la Réfutation

Passons maintenant à la confirmation et à la réfutation. Tout l’espoir du triomphe, tous les moyens de persuasion reposent sur ces deux parties. En effet, dès que nous aurons développé nos preuves, et détruit celles de l’adversaire, nous aurons entièrement accompli la tâche imposée à l’orateur.

L'État de la question

Pour traiter de ces deux parties, l’état de la question doit nous être connu. Selon les rhéteurs, il existe quatre sortes de questions ; Hermès, notre maître, n’en admettait que trois.

[Note : les trois me sont inconnues et ne sont pas citées par l’auteur, c’est là le pinacle de littérature antique : citer les dieux et jurer par l’Olympe pour absolument aucune raison.]

La question conjecturale, lorsque le fait est contesté.

La question légale, lorsqu’il s’élève quelque contestation au sujet d’un écrit, soit la lettre et l’esprit, les lois contraires, les termes ambigus, la définition, la translation, l’analogie.

La question juridiciaire intervient lorsqu’on convient du fait, mais en se demandant s’il est ou n’est point conforme au droit.

Cette question prend deux formes : elle est absolue lorsque nous soutenons qu’une action est bonne, sans nous appuyer sur aucun motif étranger ;

la question est empruntée, lorsque la défense, faible par elle-même, s’appuie sur une circonstance prise hors du sujet, elle peut alors se présenter sous quatre point de vue : l’aveu, le recours, la récrimination, l’alternative.

 

Répondre à la Question

Il faut avant tout chercher la raison de la cause, nous entendons par ce mot tout ce qui constitue la cause, ce qui contient l’esprit de la défense. Une fois qu’on a trouvé la raison, il faut chercher la réplique de l’adversaire, en d’autres termes, le point essentiel de l’accusation, ce que l’on oppose à cette raison de la défense dont je viens de parler. De la raison de la défense, et de la réplique de l’accusation, résulte le point à juger, que les Latins nomment judicatio. Une fois découvert, on doit rapporter ce point à tout le système du discours.

 

Pour la question conjecturale, l’ensemble des arguments se divise en six parties : le probable, la convenance, le signe, l’argument, les suites, la preuve confirmative.

Par le probable, il faut considérer la cause du crime ou la conduite de l’accusé. La cause qui conduit au mal est ou l’espoir d’un avantage, ou la fuite d’un désagrément. La conduite de l’accusé se fait par les antécédents.

Il y a convenance lorsque l’action imputée à l’adversaire n’a été avantageuse à nul autre que lui, ou bien que seul il a pu l’exécuter, qu’il n’en pouvait venir à bout par d’autres moyens, ou s’il le pu du moins il ne l’aurait pas pu aussi facilement.

Le signe se divise en six parties : le lieu, le temps, la durée, l’occasion, l’espoir de réussir, l’espoir de n’être point vu.

L’argument se rapporte à trois époques : au passé, au présent, au futur.

Les suites sont les signes qui résultent de l’innocence ou de la culpabilité.

La preuve confirmative exagère ou diminue la honte ou la rage selon la position du plaideur.

 

Pour la question légale, il faut lire son texte, établir la différence avec celui de l’adversaire, puis établir l’intention de l’adversaire derrière sa compréhension du texte, et la livrer au mépris, la repousser.

 

Pour la question juridiciaire, si elle est absolue il faut s’en remettre au droit ; si elle est relative, [il nous faut agir selon les parties de la question conjecturale].

La Structure de l'argumentation

Pour l’argumentation, la plus parfaite est en cinq parties : l’énoncé de la règle, l’explication de la règle, le rapport avec la situation, l’explication du rapport, la conclusion.

Exemple : Sujet de débat : « l’homme naît-il bon ? »

Énoncé de la règle : L’homme naît sans morale.

Explication de la règle : La morale est une construction sociale humaine, inculquée à travers l’éducation, n’existant pas par elle-même à l’état de nature sauvage.

Rapport avec la situation : Sans morale, nous ne pouvons être bon ou mauvais.

Explication du rapport : Le bien et le mal sont des repères moraux, utilisés pour distinguer les individus selon la morale qu’on leur a inculquée et, surtout, les distinguer selon qu’ils respectent ou non cette morale apprise.

Conclusion : Si l’homme naît sans morale, que sans morale on ne peut définir le bien du mal, alors l’homme ne naît pas bon.

L’argumentation peut être réduite à trois parties si elle est plus simple : l’énoncé de la règle, le rapport avec la situation, la conclusion.

Exemple : Sujet de débat : « Sommes-nous libres ? »

Énoncé de la règle : La liberté est la faculté d’agir sans être déterminé.

Rapport avec la situation : L’homme est déterminé à agir par la société.

Conclusion : Si la liberté doit être conçue sans déterminismes et que l’homme est déterminé, alors nous ne sommes pas libres.

L’argumentation peut être réduite à deux parties, si elle est évidente : l’énoncé de la règle, le rapport avec la situation ; la conclusion apparaissant d’elle-même.

Exemple : Sujet de débat : « Devrait-on arrêter de faire des enfants ? »

Énoncé de la règle : La mission principale de la race humaine est de survivre.

Rapport avec la situation : Le patrimoine génétique de notre espèce est transmis aux enfants.

L’argumentation enfin, peut être unique, si elle se fonde sur une situation qu’on a déjà énoncée et si le rapport comme la conclusion sont évidents et coulent de source d’après la règle : l’énoncé de la règle, dont la situation, son rapport et la conclusion doivent apparaître d’eux-mêmes.

Exemple : Sujet de débat : « Mieux vaut-il des avocats ou des maçons ? »

Énoncé de la règle : On ne peut comparer que ce qui est comparable.

[Note : les exemples sont personnels, il ne s’agit pas de ceux proposés par l’auteur.]

[Note : très utile pour les réponses du tac-au-tac, les réponses aux questions lors des débats, la réfutation des arguments des autres orateurs (il faudra dès lors rappeler l’argument de l’adversaire, le sujet, et énoncer votre argument unique).]

La Péroraison

Soit la conclusion du discours. Elle comporte trois parties : l’énumération, l’amplification, la commisération.

Par l’énumération, nous résumons les choses dont nous avons parlé, et les rappelons en peu de mots, non pour les reproduire en entier, mais pour en renouveler le souvenir.

 

L’amplification a pour objet d’entraîner les auditeurs au moyen des lieux communs, au nombre de dix préceptes :

Le premier, de l’autorité, quand nous rappelons quel grand intérêt la chose en question a inspiré aux dieux immortels, à nos ancêtres, aux rois, aux cités, aux nations, aux hommes les plus sages, au sénat.

Le deuxième, quels sont ceux qui se trouvent atteints, par l’action que nous accusons ? l’universalité des hommes, des supérieurs, des égaux, des inférieursa?

Le troisième, nous demandons ce qui arrivera, si l’on a la même tolérance pour tout le monde ; et nous montrons combien ce crime impuni entraînerait de dangers et de malheurs.

Le quatrième, consiste à démontrer que l’acquittement du prévenu rendrait bien plus audacieux à faire le mal.

Le cinquième, déclare que, si une fois on juge dans un autre sens, il n’y aura plus rien qui puisse remédier au mal, et corriger l’erreur des juges.

Le sixième lieu prouve qu’on a agi avec réflexion, qu’un acte volontaire n’admet point d’excuse, que l’imprudence seule a le droit de demander grâce.

Le septième fait ressortir ce qu’il y a dans l’action d’horrible, de cruel, d’impie, de tyrannique.

Le huitième présente le crime, non comme vulgaire, mais comme unique, infâme, impie, sans exemple, afin que la punition soit plus prompte et plus terrible.

Le neuvième repose sur la comparaison des délits, quand on soutient que celui qu’on accuse est plus grave qu’un autre.

Le dixième repose sur tous les détails de l’action, en énumère les suites habituelles, avec des traits si vifs, si accusateurs, si caractéristiques, que l’on croit voir se reproduire le fait lui-même et toutes ses conséquences.

 

La commisération veut émouvoir la compassion de l’auditeur, nous peindrons les vicissitudes de la fortune ; nous comparerons notre prospérité passée avec notre infortune présente ; nous énumérerons et ferons ressortir les tristes conséquences qu’entrainerait, pour nous, la perte de notre cause. En traitant de la commisération, il faut être bref, car rien ne sèche plus vite qu’une larme.