le Temps Rhétorique

VOL.I…No.01

SUISSE, GENÈVE, SAMEDI 6 DÉCEMBRE 2025

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UNE NOUVELLE ASSOCIATION OUVRE SES PORTES À L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE

LA SOCIÉTÉ DE RHÉTORIQUE DE L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE FAIT SON ENTRÉE OFFICIELLE SUR LE CAMPUS

Enregistrée par le Rectorat le 30 octobre 2025, la nouvelle Société de Rhétorique de l’Université de Genève (SRG) s’apprête à marquer la vie intellectuelle de l’Université. Fondée à partir d’un groupe d’étudiants issus de diverses facultés (droit, des sciences politiques, médecines, théologie…), l’Association se donne pour objectif d’ancrer durablement l’art oratoire au sein du campus.

Ateliers, compétitions internes, rencontres francophones et formations thématiques figurent déjà parmi les premiers projets annoncés. La SRG affirme vouloir offrir un espace structuré où les étudiants apprennent autant à s’exprimer qu’à écouter, dans un contexte où l’éloquence connaît un regain d’intérêt dans les milieux universitaires. L’initiative suscite curiosité, enthousiasme, parfois scepticisme : certains y voient une opportunité d’élever le niveau du débat, d’autres s’interrogent sur l’ampleur de ses ambitions. Mais une chose est certaine : l’Association entend jouer un rôle majeur dans le paysage oratoire genevois.

Entrée principale d’Uni Mail

Concours Jeanne Barett

La Fédération Francophone de Débat – section Auvergne-Rhône-Alpes organisera en décembre son premier concours d’art oratoire dédié, le Concours Jeanne Barret. Inspiré de la botaniste du XVIIIᵉ siècle qui fut la première femme à accomplir un tour du monde déguisée en homme, ce concours entend mettre à l’honneur les voix jeunes et audacieuses de la région. La finale se tiendra le 6 décembre au campus Citadelle de l’HEIP, à Lyon.

Concours Confluence

Le Prix Confluence a ouvert ses inscriptions pour son concours d’éloquence, qui se déroulera en cinq étapes successives : sélections, huitièmes, quarts, demi-finale et grande finale. Organisé à Lyon, l’événement attire chaque année des orateurs venus de toute la francophonie et constitue un tremplin reconnu pour de nombreux jeunes talents. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 23 janvier 2026, avec une finale prévue au printemps.

Atelier de la langue française

Le concours d’éloquence de l’Atelier de la Langue Française a rouvert ses portes pour l’édition 2026. Considéré comme l’un des rendez-vous majeurs de l’art oratoire en France, il révèle régulièrement de nouvelles figures de la discipline. Les sélections se tiendront à Paris et à Aix-en-Provence début janvier, avant une grande finale organisée le 9 mai 2026. Ouvert aux étudiants et jeunes professionnels, le concours promet une édition particulièrement relevée.

LE RENOUVEAU DE LA RHÉTORIQUE

“NOTRE OBJECTIF EST DE FAIRE DE GENÈVE LA CAPITALE DE L’ART ORATOIRE FRANCOPHONE”

Enquête exclusive par notre correspondant mondain

On raconte qu’à Genève, les mots ont toujours eu le goût de poudre. Cité de Calvin ou de la diplomatie — c’est selon l’humeur — la ville s’est longtemps méfiée des envolées lyriques, préférant l’épure à l’emphase. Il fallait donc une audace certaine pour créer, en plein XXIᵉ siècle, une Société de Rhétorique prétendant ressusciter l’art oratoire comme on réveillerait un dieu antique endormi sous la poussière des bibliothèques.

Et pourtant, contre toute attente, un frémissement traverse les amphithéâtres. Un parfum d’époque flotte, une petite révolution à veston croisé. L’éloquence serait-elle de retour ?

Les plus mauvaises langues — toujours promptes à juger ce qu’elles n’osent pas faire — murmurent que la SRG s’organise davantage comme une monarchie éclairée que comme un club d’étudiants. “On y entre comme on pénètre à Versailles”, ironise un habitué des conciliabules universitaires.

Il est vrai que l’on y parle de duels, de championnats, d’ambassades, de joutes stratégiques, et même de “doctrines oratoires”. Tout cela sent le théâtre, le XIXᵉ siècle, les rubans empesés et les intrigues parfumées.

Mais l’auteur de ces lignes, après plusieurs semaines d’observation, doit bien l’avouer : cela fonctionne.

Une ambition aussi large que le Léman

Que veut réellement la SRG ? La réponse tient en une phrase, répétée comme une devise d’Empire :

“Faire de Genève la capitale de l’art oratoire francophone.”

Les ambitieux parleront de vision ; les austères, d’hubris. Peut-être ont-ils tous raison. Ce qui horripile le plus l’avenant, n’est-ce pas qu’on le devance ?

 

Car la SRG ne se contente pas d’organiser quelques soirées pour divertir le samedi soir. Elle veut bâtir des équipes, des tournois, des formations, des écoles de pensée ; elle veut exporter ses orateurs comme d’autres exportent des traités de paix ou des boîtes de chocolat.

Et pour cela, elle s’entoure de figures redoutables : finalistes internationaux, champions régionaux, anciens mentors, et même quelques renforts venus des confins du monde francophone roman.

Genève ne produit peut-être plus de montres révolutionnaires, mais elle semble décidée à produire des orateurs redoutables.

Une tension dramatique à peine dissimulée

Mais toute épopée possède ses antagonistes. La SRG n’échappe pas à la règle.

D’aucuns dénoncent “l’autoritarisme élégant” de sa direction : trop structurée, trop hiérarchique, trop ambitieuse, trop… sérieuse ? Deux visions profondément opposées s’affrontent :

— Pour les uns, l’éloquence est un jeu charmant, une fantaisie raffinée.

— Pour les autres, elle est une discipline rigoureuse, presque martiale.

La vérité se glisse, comme toujours, dans l’entre-deux.

Oui, il y a du théâtre, des personnages, des titans de la parole qui se frôlent dans des couloirs étroits. Oui, il y a des chocs d’écoles, de méthodes, de philosophies. Mais c’est précisément ce frottement — ce délicat parfum de scandale — qui donne à la SRG sa couleur si singulièrement dramatique.

Et finalement, n’est-ce pas là tout le charme d’une renaissance oratoire ? Aucun art vivant n’est né dans l’unanimité ; les controverses sont souvent les premiers applaudissements.

Une scène oratoire en pleine métamorphose

Il serait pourtant réducteur d’expliquer l’effervescence actuelle par la seule naissance de la SRG. C’est Genève elle-même qui change. L’Université, longtemps discrète sur les arts de la parole, voit désormais ses étudiants réclamer davantage que des cours magistraux : ils veulent des joutes, des idées qui se percutent, des soirées où l’on débat jusqu’à l’extinction des voix. Les anciens clubs se regardent, hésitent, s’adaptent ; les nouveaux arrivent avec une audace presque insolente.

La ville, réputée pour sa rigueur protestante découvrequ’elle possède aussi un goût certain pour le théâtre des arguments et le ballet des répliques fines.

Et avec cette métamorphose, c’est une autre forme d’art de convaincre qui surgit. Les étudiants ne se contentent plus d’aligner des arguments : ils apprennent à construire des atmosphères, à sculpter des silences, à manier la répartie comme un fleuret. L’éloquence genevoise, longtemps contenue dans un formalisme discret, s’aventure désormais sur un terrain plus audacieux, plus vivant, presque théâtral.

 

Dans les concours comme dans les débats improvisés, une nouvelle grammaire de la persuasion se dessine : plus agile, plus nerveuse, mêlant culture classique et codes contemporains. C’est peut-être là le signe le plus inattendu de ce renouveau : à Genève, l’art oratoire n’imite plus, il invente.

Les amphithéâtres deviennent des parlements improvisés ; les couloirs, des antichambres diplomatiques ; les cafés, des lieux de stratégies oratoires dignes d’un roman-feuilleton.

Ce renouveau ne tient pas seulement à une association, mais à une génération entière qui refuse le silence poli au profit du verbe assumé. Genève, sans vraiment s’en rendre compte, est en train de redevenir un territoire où la parole compte, pèse, et se cultive comme un art.

Épilogue : l’affaire ne fait que commencer

L’histoire, elle, ne fait que commencer. La SRG n’a que quelques semaines d’existence, mais déjà Genève s’interroge : faut-il s’en amuser, s’en méfier, ou s’en réjouir ?

Les réponses viendront. Pour l’instant, une chose demeure certaine : il souffle sur l’Université un vent nouveau, un vent qui porte les mots plus loin qu’on ne le croit.

Et si la capitale mondiale de l’art oratoire n’était pas Paris, ni Québec, ni Bruxelles… mais Genève ?

L’avenir le dira.

Et Le Temps Rhétorique sera là pour en raconter chaque délicieux drame.

Un Genevois sur un podium national français

La Compétition Nationale des Étudiants RhétoriCarte, véritable marathon oratoire réunissant 240 participants venus de toute la France, s’est achevée sur une performance remarquable du président de la SRG.

 

Un résultat historique pour la jeune Société.

 

La Compétition Nationale des Étudiants RhétoriCarte, qui réunissait cette année près de 240 participants venus de toute la France, s’est achevée sur une performance remarquable : le président de la Société de Rhétorique de de l’Université de Genève, Dantès DELAFOGE, a décroché la troisième place, offrant ainsi à Genève l’un de ses meilleurs résultats oratoires de ces dernières années.

 

Le concours, réputé pour son exigence et son rythme soutenu, enchaîne quatre rounds successifs lors desquels les orateurs doivent improviser, argumenter, convaincre et surprendre. “C’était un marathon d’idées. Chaque tour obligeait à réinventer sa manière de penser”, confie le demi-finaliste genevois. Sa prestation lors de la demi-finale, sur le thème inattendu “La petite souris est-elle une délinquante ?”, a particulièrement marqué le jury par sa rigueur logique et son audace métaphorique, même si la défaite s’en est suivie.

 

Avec une note finale de 89/100, la deuxième plus élevée de toute la compétition, la performance genevoise témoigne de l’ascension rapide de la SRG, encore âgée de quelques semaines à peine.

 

Pour la SRG, ce podium n’est pas qu’un succès personnel : il symbolise l’ouverture de Genève vers une scène oratoire plus large, plus compétitive, et plus ambitieuse. Une démonstration que l’art oratoire genevois n’attendait qu’un cadre pour s’élever.

Contre l’éloquence de papier.

On nous vente les concours d’éloquence comme des temples du verbe, quand ils ne sont bien souvent que des liturgies de lecture. L’on y déclame des textes répétés mille fois devant un miroir, polis jusqu’à l’ennui, récités plutôt que pensés ou vécus. De l’éloquence, ils n’ont que le costume ; de l’Art oratoire, le fond, lui, reste sagement rangé dans les marges du manuscrit.

 

Le débat parlementaire demande de l’effort — effort que l’éloquence exige réellement : la réflexion, l’adaptation, l’écoute, la réplique. C’est ce qui fait de l’Art oratoire un art vivant, un art risqué, un art qui ne peut se dissimuler derrière des tirades préparées. C’est l’intelligence en mouvement, pas la phase apprise par coeur, mais l’idée qui naît de l’instant : la réelle force de conviction.

 

Les concours “de lecture” d’éloquence se satisferont toujours de ceux qui aiment l’apparat.

L’État de droit à la barre

Le 11 novembre 2025, l’Université de Genève accueillait un prévenu particulier, insoupçonné mais connu de tous. L’État de droit a fait l’objet d’un Concours d’art oratoire, sous la forme d’un procès fictif au cours duquel étudiants mi-avocats, mi-procureurs se sont affronté sur le sort de l’intéressé.

La Disputatio de la Semaine des Droits Humains 2025, voici le cadre contextuel de cet évènement particulier. L’État de droit semble avoir été particulièrement bien reçu, puisqu’il a attiré deux équipes de trois étudiants, et cinq jurés : Me Mangeat, Me Cannatà, Mme Laur, Mme Berger et M. Ribera.

L’État de droit a fini par être acquitté, et le jury a décerné le prix de la meilleure prestation à Kahina MERABTI.

La phrase du mois

“L’adversité est la route qui conduit le plus sûrement à la vérité. Celui qui a connu la guerre, les orages […], qu’il compte dix-huit ou quatre-vingt hivers, a conquis l’inestimable avantage de l’expérience. ”

George Gordon, Lord Byron / Don Juan

Le GPID échappe à la SRG : une défaite qui sonne comme une naissance

Le Grand Prix Intercantonal de Débat (GPID), accueilli cette année à Neuchâtel, n’a pas couronné la SRG. Mais parfois, les classements racontent moins que les voix qui les traversent, et le nom qui manque au palmarès est précisément celui que l’on retient.

 

La Société de Rhétorique de l’Université de Genève y présentait une unique candidate, jeune oratrice au port calme et au regard acéré, dont la prestation a surpris jusqu’aux jurés les plus aguerris. Dans une discipline où l’on s’impose souvent par tonnerre, elle a choisi la foudre silencieuse : des phrases ciselées, un humour discret, une élégance d’un autre siècle. Rien d’ostentatoire — tout d’inévitable.

Elle n’a pas remporté le titre. Mais il y a des défaites qui ressemblent à des débuts, et des débuts qui valent plus qu’une décoration. Car ce que la SRG a montré ce jour-là n’était pas une victoire : c’était une promesse. Une manière de dire au circuit romand : nous arrivons, et nous arrivons bien.

On ne gagne pas un GPID en un mois d’existence”, pourrait-on glisser, en s’amusant. “Mais on peut y gagner quelque chose de plus rare : l’attention.” Et l’attention, cette monnaie précieuse de l’art oratoire, la SRG l’a reçue en abondance. Plusieurs finalistes ont salué “la finesse” et “l’originalité” de sa représentante ; l’on aurait même murmuré qu’elle tenait là “l’une des voix les plus intéressantes”.

La SRG n’est donc pas repartie avec un trophée : elle est repartie avec ce qui, en rhétorique, vaut parfois davantage — une figure. Une silhouette bien dessinée dans la lumière du débat, un style reconnaissable, une élégance qui ne s’invente pas. Un premier chapitre.

 

Et si le GPID ne l’a pas couronnée, il l’a révélée.

Ce n’est pas une victoire officielle ; pas plus qu’une victoire de prétoire, ou qui sente le cabinet…

 

C’en est une vraie.

La concession

La concession (concessio en latin) est l’un des joyaux les plus subtils de la rhétorique : elle consiste à admettre un point de l’adversaire… pour mieux le retourner contre lui.

 

C’est l’art du pas en arrière qui frappe plus fort qu’en avançant. L’élan nécessaire à toute frappe utile. Le bref silence qui suit l’éclair, et précède le tonnerre.

 

L’orateur concède calmement : “Certes, vous avez raison sur ce point.” Le public se détend, l’adversaire se réjouit — erreur fatale. Car la concessio ouvre une porte que l’orateur referme aussitôt, avec élégance : “Mais c’est précisément pour cela que…

 

Cette technique charme par sa politesse et impressionne par sa stratégie. Elle prouve que la véritable force oratoire ne réside pas dans le refus, mais dans la maîtrise du retournement. D’autant plus que de nombreux débats, relatés par de plus nombreux encore jurés fatigués, se révèlent être des débats de sourds.

 

Le premier orateur a préparé son argumentaire, et n’en dément pas. Le second a aussi préparé son argumentaire, et ne compte pas l’abandonner. Au final, deux visions sont affirmées, sans réelle contradiction, sans adversité, sans ferveur, sans chaleur ardente de compétition.

 

Gardons à l’esprit que pour remporter un débat, il faille être victorieux sur son terrain… et sur celui de son adversaire. Commencez donc par votre argumentaire, là où vous êtes solides ! mais venue la moitié du débat, sonnez le glas de votre adversaire : concédez. Concédez qu’il faille répondre à ses injonctions, affirmez que vous avez vaincu sur votre position, et prétendez à la victoire totale en le réfutant entièrement.

 

La concession fera le plaisir de vos jurés, attirera la haine de vos préopinants, et je le crois, vous rendra bien plus éloquents.

Un argument n’est pas une opinion

On crois souvent que ce qui nous apparait clair, l’est pour tous. C’’est un défaut qu’il s’agit de vite régler. “Je pense que… donc c’est un argument.” comme dans une espèce de démarche proto-cartésienne, le jeune orateur se prend d’amitié pour ses idées, ses opinions, ses positions… mais tout rhéteur confirmé vous affirmera l’axiome suivant : lorsque l’on finit de rédiger un discours, il faut savoir tuer ses enfants.

 

Eh ! il est bien naturel d’aimer le fruit de son travail, mieux encore celui de sa pensée. Mais l’oral n’est pas l’écrit, si bien qu’il troque, à bon prix certes, l’attention contre la vivacité : un orateur peut faire comprendre une idée en quelques secondes, en une poignée de mot, quand le long paragraphe demandera plus de temps ; mais ce dernier, de par la restriction qu’il faille le lire, mais aussi le médium du livre, offrira plus de réflexion.

 

Il est possible de juxtaposer, au hasard de cinq-cent pages, cinquante idées, vingt théorèmes et trois révélations philosophiques. Il est généralement admis que seuls trois arguments peuvent coexister en un seul discours.

 

Dès lors, que l’orateur dépasse cet règle de trois, il ne convainc plus : il expose un catalogue. Il vaudrait bien mieux qu’il aligne alors dix, vingt, trente arguments ! mais qui voudra bien l’écouter ? et surtout, qu’en est-il de la qualité ? Si c’était le cas inverse, les débats seraient de simples alignements de sensations personnelles — un inventaire de météos intérieures. Une opinion dit ce que l’on ressent, mais un argument dit pourquoi ce que l’on ressent devrait convaincre quelqu’un d’autre. La formule est simple :

→ Une opinion part de soi.

→ Un argument part du monde.

Un bon argument ne raconte pas l’âme : il révèle une structure, une logique, une nécessité. Il met l’auditeur face à quelque chose qui dépasse la simple humeur. C’est cela, la beauté de l’art oratoire : transformer un “je crois que” en “vous voyez bien que”. Avec précision, rapidité, et mesure.