VOL.I…No.02
SUISSE, GENÈVE, SAMEDI 13 DÉCEMBRE 2025
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Il arrive, parfois, que l’art oratoire cesse d’être un exercice discret pour devenir un événement. Quand les inscriptions ferment avant même d’avoir vraiment ouvert, quand l’enthousiasme déborde les cadres, quand la parole attire plus sûrement que n’importe quel spectacle, quelque chose se produit.
De Genève à Paris, des salles combles aux finales survoltées, l’éloquence francophone connaît son premier sold out.
Chronique d’un emballement rhétorique — et d’un seuil peut-être déjà franchi.
Les sélections du Prix Confluence ouvriront officiellement le 19 décembre. Concours d’éloquence désormais bien installé dans le paysage francophone, le Prix Confluence s’adresse à celles et ceux qui entendent éprouver leur verbe dans un cadre exigeant, structuré et résolument tourné vers la joute oratoire.
Chaque édition attire des profils variés réunis par une même ambition : faire de la parole un exercice de rigueur, de style et de conviction.
À compter du 19 décembre, les candidats pourront déposer leur dossier et tenter de rejoindre un concours qui, année après année, s’impose comme un rendez-vous incontournable de l’éloquence contemporaine.
L’association Law Career Start (LCS) invite le public genevois à découvrir Le Procès des Justes, un procès fictif inspiré de Les Justes d’Albert Camus, interprété par Théâtre’Hall, à l’Université de Genève.
Entre théâtre et plaidoirie, l’événement interroge les limites morales de l’action politique et la responsabilité individuelle face à la violence.
La représentation aura lieu à Uni Mail, salle MS180, le 5 décembre et le 19 décembre à 19h, en entrée libre.
La Ligue Mondiale de Débat de la Fondation CORAX s’ouvrira cette année sur une étape inédite pour Genève, puisque la Société de Rhétorique de l’Université de Genève (SRG) y représentera, pour la première fois, l’Université de Genève.
Cette entrée sur la scène internationale consacre le travail de structuration mené ces derniers mois et marque l’affirmation d’une ambition claire : inscrire durablement l’art oratoire genevois dans les grands circuits du débat mondial, aux côtés d’universités et d’institutions déjà établies.
OU QUAND L’ATELIER DE LA LANGUE FRANÇAISE FAIT SOLD-OUT
Le Concours d’Éloquence de l’Atelier de la Langue Française, que nous avions couvert lors du premier numéro, a brutalement fermé ses inscriptions devant l’enthousiasme exacerbé.
Le lundi 8 décembre, quinze minutes avant les coups de seize heures, un message annonce que les inscriptions dont la clôture initiale était prévue en janvier 2026, se termineront le 12 décembre. Il aura suffit d’une heure et vingt-deux minutes pour que l’Atelier réécrive, certainement paniqué, en ces termes :
“Suite à notre message envoyé ce jour, et face à un afflux massif d’inscriptions en quelques minutes, nous sommes dans l’obligation de clore les inscriptions dès maintenant.”
Qui sait combien d’inscrits se sont déclarés, jusqu’au 8, et entre ces deux messages ? une chose est sure, l’Atelier de la Langue Française vient de réaliser le premier véritable sold out de l’art oratoire francophone. Car il est une chose de fermer les inscriptions, généralement par manque de place, de finances ou de logistique ; il en est une autre de les clôturer deux fois de suite.
Pour l’édition 2025, qui couronnait le français Alain CHARLES-RIBERA pour son éloge des poux au-devant des lions, les sources disponibles estiment quatre-cent inscrits. Cependant, ce nombre comprend également la version lycéenne du Concours, qui couronnait l’étudiant cambridgien Giovanni LACROIX Il est également à noter que les sources indiquent la fermeture des inscriptions le 19 janvier 2025, après avoir été ouvertes en décembre 2024.
Nous pourrions donc estimer que l’édition “mature“ de l’Atelier a réuni au moins quatre-cents inscrits. Mais qui sait, combien cette année ?
Ajoutons que le Grand Théâtre de Provence, dans lequel se déroule la finale du Concours, dispose d’un peu plus de mille-trois-cents places – soit plus de deux fois la salle U600 de l’Université Dufour, où prennent place les plus grandes compétitions d’art oratoire de Genève.
La question se pose, dès lors, de savoir quel est le plus grand concours d’art oratoire francophone, et comment il se compare avec nos concours genevois, respectivement nos concours de Suisse romande.
Partons de notre point de départ, l’Atelier de la langue française. Conservons le nombre de quatre-cent participations disponibles, et environ mille-trois-cents spectateurs pour la finale.
Le Concours Eloquentia est également un titan de l’art oratoire francophone. L’on apporte que les sélections auraient compris près de deux-milles inscrits, Il faut cependant relativiser, ces deux-mille concernent le monde entier. La Ville de Boulogne-Billancourt évoque la Seine Musicale, avec trois-mille-cinq-cents places assises.
Le Concours international d’éloquence de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, que je ne connaissais pas avant de commencer la rédaction de cet article, parle de “six-cents candidats dont une centaine de participants internationaux”, ainsi que trois-mille-cinq-cents places assistes sous la coupole du Panthéon ou derrière leurs écrans. Le mix présentiel et streaming fausse les chiffres.
Mais en terme de streaming, le podium revient au Grand Oral de France 2, qui ne cumulait “que“ quelques centaines de personnes en plateau, mais près d’un million cinq-cents-mille téléspectateurs sur France 2, pour la première édition.
Le classement serait donc le suivant :
La Fédération Francophone de Débat (FFD) organise, de son côté, le Concours Périclès et la Coupe de France : deux compétitions totalement opposées. Cependant, si la FFD rapport quatre-vingt associations participants, ce sont trois-cents-vingt débatteurs qui s’affrontent sur le total de la compétition de la Coupe de France.
Le Concours Périclès rapporte deux-cents-cinquante inscrits.
Les chiffres sont plus complexes, et surtout moins sourcés. Les plus grands concours de Genève touchent au maximum six-cents places, l’auditoire universitaire le plus grand, la salle U600 à Uni Dufour, est de… six cents places – elle porte bien son nom.
Genève est donc bien loin du podium français. Retenons seulement que l’auditorium Ivan Pictet, à la Maison de la Paix, a une salle de quatre-cent places. Y avait notamment été tenu le Procès de l’Intelligence artificielle.
Le Grand Prix Intercantonal de Débat (GPID) en est à sa quatrième édition, le Concours Romand d’Éloquence à sa septième.
À la suite de la création du Concours Genevois d’Éloquence, remplaçant les demi-finales genevoises du Concours Romand d’Éloquence, de nombreux autres concours au nom de leur canton sont nés : Concours Fribourgeois, Concours Vaudois…
Le Concours de plaidoirie du Léman, arrêté, et le Concours Nançoz, réitéré chaque année, cumul(ai)ent également plusieurs centaines de places assises. La Conférence Berrier, remplacée au profit des Impromptus du Jeune barreau de l’Ordre des Avocats Genevois en 2025, atteignaient une centaine tout au plus – raison de salles, celles des offices juridiques étant relativement petites.
En conclusion, nos frasques romandes demeurent marginales en comparaison des éclats français. Lorsqu’une finale régionale de débat, à l’Hotel de Ville de Lyon, est certain d’attirer près de deux-cents personnes pour sa première édition, tandis que des concours vieux de vingt ans se limitent à ce nombre ; lorsque l’Atelier de la Langue Française clôt abrubtement ses inscriptions, que sa finale cumule plus de mille places assises…
nous regardons au loin, émerveillé, comme le Voyageur contemplant la mer de nuages qui s’étend, à perte de vue, devant lui.
Ainsi va l’art oratoire : il croît là où le verbe flambe, et meurt là où l’on s’ennuie.
Dans le paysage romand, et plus encore genevois, la Fédération Francophone de Débat occupe une place singulière. Elle fut pourtant la première à ouvrir ses portes au tissu romand, invitant des orateurs genevois à se mesurer lors de deux compétitions majeures : la Coupe Auvergne-Rhône-Alpes, dite Coupe AURA, et la prestigieuse Coupe de France.
À mesure que la Coupe AURA s’apprête à lancer sa troisième édition, un murmure traverse les rangs. À Genève, comme dans un mirage lointain, résonne déjà le roulement sourd des tambours de guerre. L’heure de la compétition approche — et avec elle, ce cortège indissociable de promesses : la gloire et l’échec, la jubilation et les larmes.
Rappelons, pour mémoire, que les Genevois ont déjà foulé à deux reprises la scène de la finale de la Coupe AURA. Une habitude presque insolente pour une délégation encore jeune, mais déjà aguerrie.
L’édition 2025 offrit un nouveau théâtre aux ambitions genevoises. Une fois encore, la délégation se hissa jusqu’au rang de vice-championne. Mais cette fois, l’adversaire avait appris. Face à eux se dressait LYSIAS Clermont-Ferrand. Le score ne fut pas aussi serré. Portée par les efforts quasi surhumains de son président, LYSIAS avait préparé sa revanche pendant 365 jours exacts.
Déchirée l’année précédente par les Genevois, leur rancœur n’avait cessé de croître, tapie dans l’ombre, avant d’exploser dans un tumulte de belles paroles, d’arguments affûtés et d’enthymèmes d’une précision redoutable.
Aujourd’hui, la troisième édition ouvre ses portes. Et pour la première fois, Genève n’avance plus seule. Elle dispose désormais d’une association entièrement dédiée à cet art exigeant et brutal qu’est la compétition oratoire : la SRG.
Affaire à suivre.
La SRG n’est donc pas repartie avec un trophée : elle est repartie avec ce qui, en rhétorique, vaut parfois davantage — une figure. Une silhouette bien dessinée dans la lumière du débat, un style reconnaissable, une élégance qui ne s’invente pas. Un premier chapitre.
Et si le GPID ne l’a pas couronnée, il l’a révélée.
Ce n’est pas une victoire officielle ; pas plus qu’une victoire de prétoire, ou qui sente le cabinet…
C’en est une vraie.
On se les imagine, ces deux vieilles dames anglaises, drapées de velours, parfumées d’histoire et de suffisance assumée : l’Oxford Union et la Cambridge Union, temples rivaux d’une même aristocratie intellectuelle. Chacune règne sur son île comme une souveraine de papier, avec ce mélange délicieux d’élégance, de provocation et d’insolence polie dont seuls les Britanniques ont le secret.
Barbey d’Aurevilly glissait, à l’égard de Brummel et de la vanité, que : “L’une est la forme de la vanité humaine, universelle ; l’autre, d’une vanité particulière et très particulière : de la vanité anglaise.” C’est que l’on ne débat pas, aux Unions : on y parade, on y scintille, on y ferraille avec le sourire. Là-bas, le verbe est une épée fine, le sarcasme un sport national, et l’esprit – lorsqu’il surgit – provoque dans la salle ces frémissements qu’on attribue d’ordinaire aux arts plus dangereux, plus brutaux, plus spectaculaires.
La Cambridge Union cultive la causticité brillante, la réplique taillée net, comme une lame sortie d’un atelier trop perfectionniste. L’Oxford Union, elle, préfère l’amplitude, le geste large, la posture quasi-parlementaire, celle des grands orateurs qui savent qu’une salle se conquiert autant par la phrase que par le silence. Deux styles, deux mythes, une même prétention.
On y voit défiler ministres, écrivains, iconoclastes et athlètes. Tous viennent y chercher la même chose : ce moment suspendu où l’on a l’impression de parler non au public, mais à l’Histoire. Un privilège rare, offert par ces vieilles institutions qui tiennent debout moins par leurs murs que par l’aura qu’on leur prête.
Les Unions ne sont ni des écoles, ni des concours : ce sont des scènes. Et, à leur manière, des légendes vivantes. Ceux qui y ont un jour pris la parole ne deviennent pas meilleurs orateurs – ils deviennent, pour toujours, des orateurs à l’anglaise.
Car l’Amérique ne débat pas à voix basse. Elle déclame, elle projette, elle assume. La NSDA n’est pas un club : c’est une fédération, presque une république parallèle de la parole, qui agrège des centaines de milliers de lycéens, de coachs, de juges, tous unis par cette conviction très américaine que le verbe est une arme civique, un outil d’ascension, parfois un passeport social. Là où l’Union parade, la NSDA mobilise.
Car l’Amérique ne débat pas à voix basse. Elle déclame, elle projette, elle assume. La NSDA n’est pas un club : c’est une fédération, presque une république parallèle de la parole, qui agrège des centaines de milliers de lycéens, de coachs, de juges, tous unis par cette conviction très américaine que le verbe est une arme civique, un outil d’ascension, parfois un passeport social. Là où l’Union parade, la NSDA mobilise.
On n’y cultive pas tant l’ironie que l’efficacité. Le mot doit porter, convaincre, gagner. La rhétorique y est athlétique : structurée, chronométrée, notée, disséquée. Le pathos y marche main dans la main avec la logique, et l’ethos se construit à coups de persévérance et de répétitions. C’est l’éloquence comme discipline, presque comme sport de haut niveau, avec ses ligues, ses classements et ses finales nationales aux allures de Super Bowl du discours.
Saviez-vous seulement que l’actuel Pape du Vatican, était un membre régulier de la NSDA ?
La National Speech and Debate Association n’a pas l’aristocratie des vieilles Unions, mais elle possède autre chose : la puissance démocratique de la parole en mouvement. Elle ne fabrique pas des dandys de l’esprit ; elle forge des citoyens-orateurs. Et ceux qui en sortent ne parlent pas « à l’anglaise » : ils parlent américain — droit, fort, et sans jamais s’excuser d’occuper la scène.